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9h30-10h30: Conférence plénière 1
Que veut dire ouvrir la science ? Enjeux et problèmes d’un programme de politique scientifique
Olivier Tinland (Directeur de la MSH SUD et professeur de philosophie contemporaine à l’Université Paul Valéry - Montpellier 3)
La science ouverte se présente à nous comme une orientation officielle, désormais largement partagée, de la recherche scientifique. Mais d’où vient l’idée de science ouverte ? Quelles en sont les principales sources ? Désigne-t-elle un programme stable, cohérent et univoque ou est-elle susceptible d’interprétation divergentes ? L’enjeu sera de faire entendre les différentes « harmoniques » de la science ouverte en vue de restituer la complexité de ses enjeux. ».
La Science Ouverte « une révolution nécessaire », qui ne va pas laisser que des traces numérique
Lise Verlaet (PU-HDR en Sciences de l’Information et de la Communication, ITIC)
La Science Ouverte (Open Science) est la concrétisation politique des dynamiques portées par le mouvement du Libre Accès et des initiatives associées depuis la démocratisation de l’Internet pour dématérialiser la production scientifique et en permettre un accès libre et gratuit. La Science Ouverte a pour objectif d’assurer notamment la gouvernance informationnelle et stratégique de cette ouverture aux publications et données de la recherche. Cette institutionnalisation est loin d’être anodine puisque le second Plan National pour la Science Ouverte présenté par la Ministre F. Vidal en 2018 indique l’obligation de rendre accessibles (sans entrave, ni délai ou paiement) et ouverts à tous (chercheurs, entreprises et citoyens) les résultats de la recherche scientifique financée sur projets. Selon la loi de programmation de la recherche, l’objectif est de 100% de publications en accès ouvert en 2030. Comme le souligne la Commission Européenne (2016), la Science Ouverte représente une nouvelle approche du processus scientifique basée sur le travail en coopération et de nouvelles façons de diffuser les connaissances en utilisant les technologies numériques et de nouveaux outils de collaboration. Au sein de cet exposé, nous analyserons comment la Science Ouverte vient reconfigurer à la fois les institutions de recherche et l’ensemble du cycle de recherche, ce qui implique un changement de paradigme important dans la gestion de la recherche, mais aussi et surtout dans le financement de la recherche. A ce titre, c’est non seulement l’intégralité de l’infrastructure technique qu’il faut (co-)construire car comme nous le verrons les normes techniques de ces architextes (et leur rationalité) peuvent impacter les normes et pratiques professionnelles des chercheurs en particulier en LLASHS. Mais c’est aussi l’infrastructure sociale nécessaire pour informer et soutenir sur le long terme les acteurs de la recherche – que nous pouvons désormais qualifier d’entrepreneur de la recherche – , voire accompagner les entreprises et citoyens qui souhaiteraient s’approprier les ressources scientifiques. Dès lors, il est primordial de participer à la co-construction de ce nouvel écosystème de la recherche et aux artefacts numériques qui y sont déployés pour faire entendre toutes les voix et toutes les méthodologies scientifiques. Reste à savoir si les universités LLASHS en auront les moyens financiers.
Lise Verlaet est Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication et directrice de l’Institut des Technosciences de l’Information et de la Communication (ITIC) au sein de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Elle est responsable scientifique du programme de recherche-action NumeRev porté par la MSH SUD, qui est une plateforme d’édition scientifique en science ouverte. Ces recherches portent sur les approches centrées utilisateurs, l’audit-diagnostic des systèmes d’information, les technologies de l’intelligence, la gouvernance de l’information et l’intelligence économique, qu’elle étudie en privilégiant les approches constructivistes et compréhensives.
Science ouverte et plus-value métier : le potentiel sous-évalué des presses universitaires
Conférencière : Laure Himy-Pieri Directrice des Presses universitaires de Caen (Université Caen Normandie)
Dans certains établissements, les presses universitaires sont comprises comme un service commun de soutien à la recherche, et leur structuration, leur mode de financement et la spécificité des compétences métiers qu'elles rassemblent leur permettent d'être des acteurs très importants de l'ouverture des résultats de la recherche. La "publication" y est en effet nativement pensée, dès le stade du projet, comme un processus lié aux modalités technologiques d'élaboration des fichiers supports, et non, comme un produit qu'il s'agirait de rendre accessible dans un second temps. Il s'agit donc de réfléchir à l'importance de la plus-value que peut procurer à la science ouverte la prise en compte du potentiel que représentent les presses universitaires (gain de temps, gain d'argent, vitesse de dissémination entre autres) que peuvent apporter les presses à une politique de science ouverte.
Est-il éthique de fermer l’accès aux données ?
Bertrand Monthubert (Mathématicien, professeur à l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier)
Le respect de la vie privée est un principe fondamental, qui conduit à mettre en place des régulations importantes dans le domaine de la donnée. Pourtant, la recherche a besoin d’accéder à de nombreuses données personnelles. Celles-ci sont souvent collectées dans le cadre de projet de recherche, mais il peut être nécessaire d’accéder à des données collectées indépendamment de ces projets. Nous examinerons les enjeux posés par cette question, la manière dont on y répond généralement et les limites des approches classiques. Puis nous aborderons les technologies de renforcement de la confidentialité et envisagerons la façon dont elles pourraient permettre un développement de la science ouverte.
Mathématicien, professeur à l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier, Bertrand Monthubert est également le président de plusieurs organisations dans le domaine de la donnée : le Conseil National de l’Information Géolocalisée, la plateforme région d’information géographique OPenIG, et Ekitia, une organisation qui rassemble des acteurs publics et privés afin de construire un cadre de confiance éthique et souverain pour le partage de la donnée. Il est également membre du Partenariat Mondial de l’Intelligence Artificielle, où il participe aux travaux du groupe de travail sur la gouvernance de la donnée.
Pas de prêt-à-porter pour l'ouverture des données. Comment prendre en compte les spécificités de nos pratiques de recherche et de nos publics ?
Conférencières : Célya Gruson-Daniel (cabinet Inno3, spécialiste des modèles ouverts) et Claire Lemercier (Sciences Po Paris)
L'ouverture des données de la recherche pose des questions fondamentalement différentes de celle des publications de recherche. En effet, les publications sont quelque chose qui était produit de toute façon, écrit pour un public précis (variable selon les revues), et dont l'ouverture se fait en quelque sorte de surcroît. En revanche, "ouvrir les données" en recherche suppose en réalité de constituer comme données certaines briques de notre travail -- alors que le mot "données" lui-même n'était pas forcément utilisé jusqu'ici dans certaines disciplines, notamment en LLA-SHS. En outre, même lorsque nous opérions déjà des formes de "mise en données" (comme le disent les sociologues des sciences) au fil de notre travail, elles n'étaient en général pas destinées à être largement ouvertes. "Ouvrir" ces données suppose de réfléchir à leurs publics et leurs usages potentiels (ouvrir pour tout le monde, tout usage possible, n'a guère de sens en pratique) et de repenser la manière de les construire en fonction de ces publics et usages. Certain·es abordent cette question en promouvant des normes inspirées par des pratiques qui ont fait leurs preuves dans des disciplines particulières : ainsi, la notion de données FAIR (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fair_data) trouve des racines en génomique et en astronomie, notamment. Dans le cadre d'un groupe de travail du Comité pour la science ouverte, nous avons inversé la proposition. Nous avons voulu avant tout proposer une base descriptive solide des pratiques de recherche de collègues dans une très grande variété de disciplines , pour comprendre leur rapport à leurs données (ou "mesures", "matériaux", "sources", etc.), sur la base d'entretiens approfondis, individuels et collectifs, menés par Célya Gruson-Daniel, et d'un questionnaire (qui a en particulier reçu de nombreuses réponses en SHS). Ces éléments empiriques nous permettent d'esquisser différents profils de rapport aux données (qui ne recoupent pas toujours les frontières entre disciplines) et de proposer des recommandations pour une ouverture qui respecte les pratique de travail existantes. La présentation se fondera sur les travaux décrits ici : https://declinerso.pubpub.org/, qui ont également impliqué Hélène Chambefort, Marie Herbet, Juliette Hueber et Anne Vanet (et plus ponctuellement d'autres personnes listées ici : https://declinerso.pubpub.org/credits).
Célya Gruson-Daniel (https://inno3.fr/author/cgrusondaniel/)est diplômée de l’École Normale Supérieure, d’un master en neurosciences cognitives et docteure en sciences sociales (sciences de l’information et de la communication et études des sciences et technologies). Son parcours interdisciplinaire lui permet d’appréhender finement les différentes conditions de production et d’utilisation des données et publications scientifiques dans des régimes numériques des savoirs. Elle travaille aujourd'hui au sein du cabinet Inno3, spécialiste des modèles ouverts (open source, open data, open science, etc.). En tant que praticienne-chercheuse, elle a en charge le développement des projets de recherche-action avec différentes organisations (instituts publics, collectivités, entreprises, associations, etc.). Elle intervient également en tant qu’enseignante dans divers instituts de recherche et d’enseignement supérieur pour former aux méthodologies numériques (collecte, analyse, gestion de données) par une approche pragmatique et participative et pour sensibiliser aux transformations numériques de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Claire Lemercier (https://www.sciencespo.fr/cso/fr/chercheur/Claire%20Lemercier/1014.html) est directrice de recherche CNRS en histoire, en poste au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po Paris). Spécialiste de l'histoire économique et sociale de la France aux 19e et 20e siècles, elle a beaucoup œuvré, avec Claire Zalc, pour la réflexion sur les méthodes quantitatives en histoire et leur enseignement. Elle a parallèlement été impliquée dans des activités éditoriales qui l'ont tôt amenée à travailler pour l'accès ouvert aux publications scientifiques, notamment dans le cadre de Revues.org puis Openedition, dont elle a présidé le conseil scientifique, puis au sein du Conseil scientifique du CNRS (en dialogue avec les disciplines non LLA-SHS) et du Comité de suivi de l'édition scientifique au ministère de la Recherche (2017-2019). Plus récemment, dans le cadre et en dehors du Comité pour la science ouverte, elle s'est impliquée dans les débats sur l'ouverture des données de la recherche.
Les modalités d’ouverture des données dans la science ouverte
Etienne Augé (Professeur de Physique, Vice-président adjoint pour la Science Ouverte (Université Paris-Saclay))
L’ouverture de la science représente une évolution culturelle majeure qui se déploie progressivement, offrant des opportunités accrues en matière de visibilité des chercheurs et de leur capacité à s’impliquer dans des projets collaboratifs. On espère que les chercheurs, disposant d’une information à la fois plus complète et plus détaillée de l’état de l’art pourront mieux identifier les pistes qui leur paraissent les plus intéressantes et bâtir leurs projets de recherche sur des bases plus solides qu’actuellement. Les opportunités accrues en matière de visibilité des chercheurs et de leur capacité à s’impliquer dans des projets collaboratifs sont des atouts potentiels en particulier pour la carrière de jeunes docteurs. Avec un point de vue influencé par la recherche en Science, Technologies et Médecine, je présenterai comment mon université aborde les nombreux aspects de cette problématique, en évoquant les modalités d’ouverture des publications (dont la non-cession des droits d’auteur), et en insistant sur l’ouverture des jeux de données et sur la manière d’utiliser cette ouverture.
Étienne AUGÉ a été chargé de recherches au CNRS de 1984 à 1998, affecté au Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (LAL) à Orsay. Il est depuis 1998 Professeur de physique, à l’Université Paris-Sud puis à l’Université Paris-Saclay. Chercheur en physique des particules expérimentale, il a travaillé au sein de collaborations internationales à l’aide d’instruments installés au CERN à Genève, d’abord en sondant la structure interne des protons à l’aide de photons de haute énergie, puis en étudiant l’asymétrie entre matière et antimatière dans les désintégrations des mésons K. A partir de 1992, il a surtout travaillé au développement de divers instruments destinés à étudier les collisions proton-proton produites par la machine LHC du CERN, instruments qui ont contribué à la découverte du boson de Higgs en 2012. Après 3 ans en tant que vice-doyen de la faculté des sciences d’Orsay, il devient directeur adjoint scientifique de l’Institut IN2P3 du CNRS de 2008 à 2012. Il effectue ensuite deux mandats de vice-président de l’Université Paris-Sud en charge de la recherche et de la valorisation, avant de rejoindre en 2020 l’équipe présidence de l’Université Paris-Saclay en tant que Vice-Président adjoint en charge de la Science Ouverte. Il co-anime le réseau des référents Science Ouverte de France-Universités.
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